Pierre de Saint-Pastou, l’avocat du Baco

 

Sa famille élève des armagnacs depuis 1789. Le dernier de la lignée, viticulteur à Monguilhem, défend ce cépage incontournable en Bas-Armagnac

 

« Il y a vingt-cinq ans, dans la cour de récréation de l’école de Monguilhem, si tu étais un fils de producteur de Baco, tu étais un fils de ringard ». Dans ses vignes au feuillage rougi par les premiers jours de l’automne, Pierre De Saint-Pastou s’amuse de sa remarque pas si anodine. L’Armagnacais défendra becs et ongles ce cépage si longtemps décrié et pourtant indispensable au vieillissement des plus vieilles eaux-de-vie. Il faut dire que dans sa famille on n’a jamais vraiment eu peur de défendre idées et projets. A l’instar de Gabriel-Xavier-Bertrand d’Abadie de Barrau, qui, en 1789,  achète le château de Castex-d’Armagnac, quand d’autres familles à particule se faisaient beaucoup plus discrète cette année-là.

Il décide d’y distiller des eaux-de-vie dans la tradition locale. Ainsi naît la saga Saint-Pastou.

C’est à quelques kilomètres, sur le vignoble de Rebert acheté par son père à Monguilhem que Pierre apprend à marcher. « Sur ces sables fauves, mélange d’argile et de limon laissé par la mer en se retirant, » s’exalte le dernier de la lignée Saint-Pastou. « C’est un des rares sols viticoles qui n’a pas de calcaire. L’important est  d’éviter qu’il soit nu, on a besoin de sols enherbés pour stresser la vigne. Sinon, précise le viticulteur, la vigne pomperait tout l’azote avec le risque d’une trop grande acidité dans nos vins. »

L’Armagnacais est accroupis. Pour mieux convaincre, entre deux ceps de vigne il caresse la terre,  la cueille d’une main et la tend, comme un trophée. « Sur cette terre, plusieurs cépages s’épanouissent merveilleusement : la Folle blanche, un des plus vieux cépages français de faible degré qui nous donne des eaux-de-vie très fine  à consommer en Blanche ; l’Ugni-blanc qui apporte de la finesse en terme de nez, une certaine élégance, une attaque souple, et enfin, le Baco. »

Le nom est lâché. Le fameux Baco 22 A. « Il s’agit d’un hybride, s’empresse de raconter Pierre de Saint-Pastou, inventé par le docteur Baco à la fin du XIXè siècle, à Bélus, près de Peyrehorade. Un cépage qui  donne tout le caractère et le côté rugueux de nos armagnacs. C’est le seul cépage qui permet de bons vieillissements au-delà de quarante ans. » Au domaine de Rebert la recette est simple : 50% Baco, 50% Ugni blanc. « A la dégustation, commente le Gersois, tu sens d’abord au bout de la langue la souplesse et l’élégance de l’Ugni blanc puis, en bouche,  tu finis par le Baco. »

 

« Une étude prétendait que le Baco rendait fou. Devenir fou en buvant de l’armagnac, il y a pire non ? »

 

Un Baco montré du doigt au beau milieu des années 80. « On a ringardisé ce cépage, déplore le vigneron de Monguilhem. Il était devenu le vilain petit canard, l’hybride que notre AOC osait encore utiliser, un raisin pas terrible pour le vin. D’ailleurs, il était prévu de l’arracher en 2010 tout cela parce qu’une étude révélait la présence d’acétate de méthyle… qui rendait fou. Devenir fou en buvant de l’armagnac, il y a pire non ? Fort heureusement, l’INAO est revenue sur sa décision. »

Entre temps, le Baco a pratiquement disparu, pour ne compter que quelques centaines d’hectares en Bas-Armagnac. « N’est-il pas trop tard, si nous ne réagissons pas rapidement, pour sauver ce cépage et nos armagnacs, questionne Pierre de Saint-Pastou. Dans le vignoble, on ne parle que de la survie du Baco. Le sujet agace l’administration qui n’a jamais pu contrôler ce cépage que l’on peut planter au fond de son jardin, sans greffe… »

Un cépage qui pourrait devenir « tendance » aux yeux des défenseurs de la nature. « Il résiste très bien aux maladies telles que l’esca ou le mildiou et ne demande que très peu de traitement. On peut travailler le Baco 100% naturel uniquement à la bouillie bordelaise ».

L’Armagnacais, lui,  ne trouve que des qualités à ce cépage qu’il bichonne sur 1 hectare 80 seulement, mais essentiel à l’équilibre de ses armagnacs dont la réputation court le monde. Souvent dans des salons chics, où la réputation de ce bon M. Baco n’a jamais suscitée de grands débats.

 

Mars 2011